CHAPITRE V
CAL
Jamais, de ma vie, je n’ai été aussi abasourdi. Tout. Il a tout compris !
Et non seulement compris mais assimilé, au point de porter un jugement comparatif !
Ce type est un génie. Pas d’autres mots. Un cerveau prodigieux capable de comprendre à une vitesse folle les notions les plus nouvelles, les plus extraordinaires...
Voilà... voilà notre chance ! L’idée vient de surgir en une seconde. Je sais ce que nous allons pouvoir faire. Les détails envahissent mon cerveau, s’enchaînent. Tout est lumineux. Je me sens enthousiaste...
— Boost, mon vieux, un jour tu auras ta statue dans toutes les futures villes de la Terre.
— Statue ? Vous ne m’avez pas parlé de ça ?
— Pas grave... Giuse, il y a un truc formidable à tenter. Tu voulais faire quelque chose pour la Terre ? Je crois qu’on va pouvoir. En fait j’en suis même sûr ! Quelle extraordinaire chose que le destin, ou le hasard comme on veut, qui nous a fait rencontrer un cerveau comme celui-là.
— Ça, il faut dire qu’il m’en a bouché un coin ! Mais c’est toujours la même chose avec toi, tu allèches, tu allèches et tu te fais prier pour raconter tes élucubrations. Raconte, quoi !
— Oh ! non, on va procéder par ordre, je ménage mon suspense, moi, matelot.
— Toi, un de ces jours, je vais te taper dessus, je ne pourrai plus résister...
— On a un matériel complet pour fabriquer des banques, dans le dijar, n’est-ce pas ?
— Tu veux...
— C’est ça, matelot. On va lui donner tout ce qu’il faut pour rendre ridicules les petits rigolos qui jouent toujours à la guerre avec des fantômes. Je suis sûr qu’ils n’ont rien inventé depuis deux siècles. Boost va arriver là-dedans et s’imposer sans effort.
— Mais...
— La suite en son temps. Boost... si tu avais la possibilité de redonner vie à la Terre, comment voudrais-tu qu’elle soit ?
— Je... je ne sais pas très bien. Tout est si nouveau pour moi... Pacifique, en tout cas... que tout le monde ait à manger... et que l’on ne se batte plus, surtout ça !
Ça me va très bien. Je sens, d’instinct, que ce type est bien. Sincèrement pacifique, mais suffisamment réaliste pour admettre certaines choses. Par exemple qu’il ne faut pas se laisser marcher trop longtemps sur les pieds, à force de pacifisme. C’est son bon sens qui me paraît la meilleure garantie.
— Nous avons le pouvoir de te placer... Non, je ne m’exprime pas assez simplement pour toi. Boost, nous pouvons faire de toi le chef de la Terre. Tu es prêt à jurer de la rendre pacifique ?
— Je te l’ai déjà dit ! Pourquoi demander encore ? Il y a un naturel, dans ce gars-là...
— Lou, préviens JI que nous allons venir, avec Boost qui va passer sous injection hypno-mémorielle.
Mais d’abord, je veux qu’on lui fasse une évaluation de Q.I. et de contenance. Dis aussi à JI de préparer les bancs de montage de banques hypno-mémorielles. Il va falloir en monter des spéciales. Boost a besoin de certaines connaissances, pas de tout. Inutile de le surcharger... Une dernière chose, que Salvo laisse un microsatellite en observation du camp que nous venons de quitter. Ensuite il enverra Belem ici s’occuper des chevaux pour les conduire vers le nord. Maintenant, Lou, fais venir le module. Nous embarquons avec Boost, Salvo vous prendra ensuite. Je me tourne vers Boost.
— Ne sois pas effrayé, notre module va se poser près de nous.
Il incline la tête, au moment où le faible grésillement se fait entendre. Je lève la tête. Le module achève de se poser au moment où Boost le découvre. Il a un mouvement de recul. Puis se contrôle et fait un pas en avant.
Nous embarquons les sacs par la porte latérale et Giuse et moi on s’installe aux sièges de pilotage. Boost est toujours dehors, devant la porte, apparemment fasciné par la lumière de bord. Et oui, ça commence, pour lui !
— Allez, viens, Boost, viens, lui lance Guise pendant que je programme le retour sur le clavier.
Il se décide enfin et monte maladroitement. Guise le guide comme un enfant au siège arrière d’où il peut nous regarder agir. Je coupe l’écran frontal pour lui éviter le spectacle du décollage.
— Prêt, dit Giuse à mon intention, paramètres vérifiés, affichage correct.
Je lance les anti-grav qui se mettent à ronronner. Ça part en douceur, la compensation magnétique au maxi, je ne veux pas traumatiser notre passager.
Deux minutes plus tard, il commence à bouger.
— On ne part pas ?
— On est déjà parti, je réponds en me retournant. Tiens, regarde la Terre... Tu es sûr que tu n’auras pas peur ?
— Je ne suis pas un lâche, dit-il d’un ton brusque. J’incline la tête en signe d’apaisement et branche le grand écran. Tout de suite la planète apparaît en gros plan. On n’est pas encore très haut, guère plus de 20000 mètres. Mais la Lune éclaire magnifiquement le continent Nord américain.
— Voilà les montagnes, je fais en désignant du doigt sur l’écran les contreforts... et voilà le camp.
Il a un hoquet de surprise, fixe l’image. On ne distingue que les feux des Vaillants, mais je vois à sa mine qu’il comprend ce qu’il voit. Mais il doit être salement secoué parce que son corps commence à trembler d’un mouvement convulsif qu’il ne peut arrêter.
J’accélère en coupant le frontal pour renvoyer l’image aux écrans secondaires horizontaux du pupitre de commande, qu’il ne peut voir de sa place. Inutile de l’impressionner davantage.
Giuse pianote sur son clavier de référence pour contacter JI par symbolisation électronique. Inutile d’alarmer Boost avec une nouvelle voix, mystérieuse pour lui.
Les symboles s’inscrivent automatiquement sur l’un de mes écrans, avec les réponses. JI est prêt. Arrivée dans 72 secondes.
— Giuse, donne un verre de ducal à notre copain, je fais doucement.
C’est un somnifère puissant, très rapide surtout. Je veux éviter à Boost trop de surprises en peu de temps. Giuse incline la tête et passe derrière.
*
Boost est étendu sur une couche magnétique dans le labo d’enseignement hypno-mémoriel. Pendant que JI sondait son cerveau, Giuse préparait la banque qu’on va lui injecter si JI donne le feu vert.
On a beaucoup discuté, tout les deux, sur le contenu de cette banque. Il fallait faire de lui un technicien, mais pas seulement ça. Il va avoir à diriger une action planétaire et doit posséder des notions de gestion, d’organisation, de droit.
Alors on a préparé plusieurs programmes complémentaires qui peuvent s’ajouter les uns aux autres, sans nécessiter de nouvelles connaissances que les générales.
On a simplifié beaucoup la banque classique loye de connaissances générales, le B-A BA galactique, l’explication élémentaire de l’équilibre des systèmes. C’est la première chose qu’on lui injectera. Là il ne devrait pas y avoir de problèmes.
Pour le reste, on a préparé des programmes simples d’électronicien, de physicien, de métallurgie du premier degré, de biologie.
— Les résultats sont prêts, annonce soudain la voix de JI.
— Vas-y, on t’écoute, répond vivement Giuse.
— Etude du quotient d’intelligence d’abord. Je me suis basé sur l’échelle terrienne, plus basse que l’échelle loye où les résultats risquaient d’être décevants...
Et vlan !... On prend ça dans les gencives ! Giuse fait la grimace en me regardant et je hausse les épaules, amusé. On a tout de même pris le contrôle d’une base loye...
— ... Son Q.I. dépasse 147, poursuit JI, mais son cerveau est pratiquement vierge. Ses connaissances sont à peine plus élevées que celles d’un animal supérieur.
Il commence à m’énerver, ce foutu ordinateur ! Bien sûr que son cerveau est vide, personne ne lui a jamais rien appris.
— ... Aptitude à l’enseignement hypno-mémoriel : totale. Comme le cerveau est pratiquement vide, on peut l’emplir sans difficulté. Aucune contre-indication.
— Ses caractéristiques de personnalité ? je demande.
— Aptitude à diriger supérieure à la moyenne, qualités de synthèse, grande volonté, refus de la violence, tolérance et générosité satisfaisants.
Ça confirme ce qu’on avait deviné, en tout cas.
— Alors, me lance Giuse, qu’est-ce qu’on fait ?
— On réfléchit. Quel est notre but ? Le mettre à la tête d’une sorte de gouvernement planétaire. Il faut lui donner les moyens de remettre la Terre sur les rails... Et aussi les moyens de s’imposer.
— C’est-à-dire ?
— Il faut qu’il apparaisse plus fort que les autres. Qu’on respecte le leader, mais aussi le... savant, si tu veux. Donc on doit lui donner des compétences dans un domaine qui conditionnera l’évolution de la Terre. Il doit l’engager dans un sens... qu’il faut déterminer.
On se tait, tous les deux, réfléchissant de notre côté. Je me mets à marcher de long en large.
— Et si on partait du passé, dit Giuse, de ce qui a été raté, justement pour éviter les mêmes conneries ?
— Vas-y, développe ton idée.
— Eh bien, la colonisation de Mars est une erreur par son côté permanent. Je veux parler de la population.
Je vois où il veut en venir et ça me paraît astucieux, en effet.
— Tu veux dire qu’il aurait été préférable qu’aucune colonie ne s’y installe définitivement ? D’accord, mais l’exploitation des ressources minières était nécessaire, elle. Seulement... la présence des hommes ne l’était pas forcément ! Je crois qu’on tient quelque chose ! Voyons... le travail aurait très bien pu être exécuté par des machines automatiques contrôlées depuis la Terre. Ça demande seulement plus de connaissances particulières... Ouais, on est sur la bonne voie.
— Oui, d’autant que la population de la Terre est désormais ridicule. Il n’y a plus assez d’hommes. Je verrais bien une cybernétique évoluée pour faire exécuter les travaux. Ça économiserait des bras... Et c’est aussi valable, au début, pour cultiver suffisamment le sol. Il leur faut des réserves de nourriture, défricher, etc.
— Absolument. O.K. ! on va lui faire « inventer » toute une série de machines-robots de travail... Et je pense qu’il faut commencer sérieusement à exploiter les possibilités alimentaires de la flore marine... et leur faire franchir l’âge atomique sans qu’ils en aient besoin. Je pense au véritable âge de l’hydrogène-matière. S’ils vont prendre cet hydrogène-matière sur les planètes mortes, ils ont des millénaires devant eux, en attendant l’utilisation de l’énergie solaire. Bon ! Eh bien, on a du boulot devant nous pour faire ces banques sans qu’elles utilisent des notions débouchant sur des armements !
Il faut se débrouiller pour que les théories scientifiques soient logiques mais utilisent des raccourcis évitant les déviations dangereuses. Mais je vois, dans ma tête, se dessiner une Terre se repeuplant harmonieusement dans un esprit pacifique. La conquête spatiale devenant une simple exploration des ressources, sans colonisation d’où rivalité.
Il y a aussi la langue... Il faudrait qu’il n’y en ait plus qu’une ou deux. Et là c’est un sacré travail...
Encore que la population actuelle soit tellement réduite !
Et puis l’évidence me saute aux yeux...
— Giuse, on est complètement tarés ! Il lève les yeux du banc de montage.
— Jamais un homme ne pourra réussir ça dans une vie. Et on n’a aucune garantie pour après sa mort...
Giuse frappe le banc d’un coup sec.
— Bien sûr, on est en train de rêver comme des gosses. On a ramené le problème à nous et... Mais la voilà la solution, donnons-leur l’hibernation et Boost pourra contrôler toute l’opération pendant des siècles.
Il a raison, mon vieux pote ! Drôlement raison, je ne vois aucun empêchement majeur.
— Adjugé, mais ça fait une banque de plus.
— Non, juste une théorie à apprendre par cœur. Peu importe qu’il en connaisse tous les rouages. Ce sera le petit génie, c’est tout. Tu n’es pas forcé d’avoir inventé un truc pour savoir faire le montage.
— Exact, matelot, exact ! Et la vraisemblance n’a pas d’importance. Dans un ou deux siècles, il pourra parfaitement dire à ses proches qu’il a été « enseigné » par nous. Et pour faire hâter le processus, on va leur donner aussi un système élémentaire d’enseignement hypno-mémoriel. Ça leur permettra de former rapidement les techniciens nécessaires. On sélectionne des banques rudimentaires et on leur apprend à en faire. Le vieux système primaire loy, tu sais, par induction. Il est finalement très limité, ça suffira.
— Je vois ça d’ici, fait Giuse, très excité. Les gosses suivant les cours toute l’année et, quinze jours avant l’examen, tout le monde passe à l’injecteur. Résultat : tout le monde connaît le programme !
Formidable ! Et le gars qui veut se recycler, hop ! un petit coup d’injecteur... Le super-pied ! Plus qu’à se mettre au boulot.
*
Quinze jours qu’on travaille. Pas facile de faire cette banque globale. Il a fallu tâtonner, recommencer des passages où la logique péchait. Enfin ça y est.
Boost a commencé à absorber des petits bouts de connaissances. Je voulais y aller tout doucement. Malgré son splendide Q.I., il fallait le ménager. Le laisser reposer entre les séances.
JI lui a fait une régénération cellulaire et l’a maintenu endormi pendant tout ce temps. Maintenant c’est terminé, on attend son réveil naturel.
Mais on est impatient comme des gosses. Moi je tue le temps dans la salle de musculation. Dieu sait pourtant que je n’aime pas les efforts physiques gratuits...
Je suis en train de faire des tractions quand Giuse arrive en courant.
— Arrive... il a remué !
Je fonce derrière lui, maintenant une serviette autour du ventre tant bien que mal. Sa cellule...
L’impression qu’il respire plus vite...
— Un rêve, fait la voix de JI.
— Plutôt un cauchemar, non ? Mais ça va le réveiller.
L’un de ses bras bouge convulsivement... et il ouvre les yeux ! L’air de ne pas comprendre... On ne bouge pas, il faut qu’il se souvienne lui-même.
— Oh ! je... bonjour... excusez-moi j’ai fait un sale cauchemar... Pourquoi me regardez-vous comme... mais on n’est plus dans le module ? Que s’est-il passé ?
Giuse approche doucement de lui et débranche les derniers fils qui le reliaient à JI, arrachant les contacts collés à sa peau.
— Tu es passé en injection hypno-mémorielle. Tu te sens comment ?
— Bien, très bien. Je ne vois rien de changé en moi !
— Tu n’as rien de changé, dis-je, et en même temps tu es nouveau. Il y a des vêtements dans ce coffre, là, tu sauras l’ouvrir ?
Il a un regard offusqué... et reste la bouche ouverte.
— Comment est-ce que je sais ouvrir un coffre à ouverture magnétique ?
— L’enseignement hypno, explique Giuse. Bon, on te laisse t’habiller. Tu nous rejoins au carré, on t’attend pour déjeuner. Si tu te perds, demande ton chemin à haute voix, JI te conduira.
Il hoche la tête et on le quitte.
Dix minutes plus tard, il pénètre dans le carré, vêtu d’une combinaison bleu nuit, les cheveux coupés, rasé, impeccable. Il se laisse tomber dans un fauteuil profond, et nous dévisage.
— Je suis obligé de faire des efforts pour croire à ce que je vois, commence-t-il. Tout à l’heure encore on était au camp, et maintenant...
— Ça fait tout de même quinze jours qu’on en est parti, rectifie Giuse ; tu étais en sommeil prolongé.
— Bien sûr, je suis bête... Ne m’en veuillez pas, tout est tellement fou que mon esprit a de la peine à suivre.
Il sourit et je me dis que je ne l’ai pas souvent vu sourire, au camp.
— Vous n’avez pas fait tout ça pour rien, alors allez-y, expliquez ce que vous attendez de moi.
— Que tu relances la Terre sur le chemin de l’Evolution, mais sans la violence, sans les guerres d’autrefois.
Il fait la moue.
— Compte tenu des hommes qui la peuplent pour l’instant, ce sera peut-être difficile, non ?
— Raisonnons avec un exemple concret, je commence. Imagine que chaque jour, ou chaque semaine, des quantités de nourriture soient déposées près du camp, que se passerait-il ?
La réponse vient immédiatement :
— Cagib s’en emparerait.
Lucide, Boost, c’est l’une des choses que j’aime en lui.
— Mais s’il y en a beaucoup ? Assez pour tout le monde et même davantage ? Les Mous ne seraient plus lésés, non ?
— Oui, je vois ce que tu veux dire... Oui, peut-être la violence commencerait-elle à diminuer, sans rien pour la canaliser. Il reste l’ambition. Cagib pourrait se lancer dans un raid vers le nord s’il avait des réserves importantes de vivres.
— Et peut-être les Vaillants auraient-ils envie de vivre différemment ? Séparés, par exemple.
— Tu voudrais faire revivre la notion de cellule familiale ? Ils ne vivent pas en couple, tu l’as vu. Ça me paraît difficile. En revanche...
Il réfléchit.
— ... En revanche, des petits groupes... Là peut-être... Ils ont envie, presque tous, d’être des chefs. Des petits groupes leur en donneraient l’occasion. Et à force de faire des petits groupes, on retomberait probablement sur la cellule de base : le couple. Ne serait-ce que pour des raisons sexuelles.
Etrange, il vient de décrire la prolifération cellulaire d’un corps vivant ! Alors qu’on parlait de nation... C’est peut-être la même chose.
En tout cas je suis aux anges. Il vient de nous prouver qu’on a eu raison de le choisir.
— Bon, mais pratiquement qu’est-ce qu’on fait ? dit Giuse.
— Le but est inchangé, dis-je, on recherche la base où sont réfugiés les Vrais Survivants, comme dit Boost, et là on avise. Il lui faut une vraie base, ne serait-ce que pour les installations techniques.
— Alors on reprend les recherches au sol ?
— À ton avis, Boost, ils sont où ces survivants ?
— Pas sur ce continent en tout cas. Les Détenteurs disaient que leurs fusées partaient toujours vers l’ouest. Sachant ce que je sais maintenant, il me paraît impossible qu’avec cette incidence de vol ils aillent sur la côte.
— L’Europe, alors ?
— Possible, oui.
— JI, je demande, pas d’éléments nouveaux ?
— Aucune manifestation depuis la fusée.
Tout de même rageant de chercher à l’aveuglette.
— JI, tu vas lâcher quelques microsatellites sur la planète pendant quelques heures seulement. Faut pas se faire trop repérer. Ils sont bien quelque part, ces gars-là. Nous... on va descendre en module, comme la dernière fois. Mais tous ensemble, les dix aussi. Ils prendront un amphib, et Salvo un module avec Lou en rab. Siz se tassera dans le nôtre. Allez, on mange et on y va !
*
C’est moi qui pilote cette fois. Le module descend en larges spirales vers l’Europe de l’Ouest d’abord.
C’est le lever du jour. D’après Boost, on est à la fin du printemps dans l’hémisphère Nord.
Tous les détecteurs sont branchés. Mais les voyants sont sombres. Vacherie de recherche.
Je descends encore, vers l’ancienne France, et je réduis la vitesse à un taux subsonique. On distingue bien les fleuves. Ils m’ont l’air assez larges...
Ça m’intrigue et je pousse la boule de pilotage, lançant le module dans un plongeon, trahi seulement par le grossissement du sol sur l’écran frontal. On ne ressent rien ici. Une grande boucle pour descendre la Loire.
Giuse siffle doucement, à côté. Eh oui... Des alluvions sur deux kilomètres de large ! Le fleuve a formidablement grossi pendant un certain temps avant de regagner son lit. De Tours il ne reste rien... C’est bien le plus terrifiant. Rien. Pas même des décombres, rien... Un sol aride, ravagé. Quel cataclysme est passé par là ? Je poursuis mon virage et on arrive très vite à la côte atlantique. Je mets quelques secondes pour me rendre compte qu’elle a reculé ! Un raz de marée gigantesque, visiblement. Plus de végétation...
Pas un mot à bord. Chacun de nous ressent probablement la même chose. Il n’y a pas de mots pour dire ce qu’on éprouve devant ce gâchis.
La Seine a encore plus souffert. Ses boucles ont été balayées jusqu’à Rouen ! Vernon se devine vaguement. Mantes est rasée, et... Paris ? Je ralentis... On vole à cinq cents mètres maintenant. Dieu !
Un champ de ruines... Le plus grand champ de raines qu’on puisse imaginer, d’Est en Ouest.
Paris était loin d’avoir le rayonnement qu’elle avait eu dans le passé, mais c’était devenu la capitale des Arts, de l’Histoire, en Europe, puisque tous les musées y avaient été transférés. Dans notre siècle elle était le lieu privilégié des arts. De l’humour à la musique. On y venait de partout pour passer un week-end de spectacles.
Ma vieille colère me reprend... J’enfonce rageusement la poignée d’accélération, et le système d’amortissement gémit.
Je remonte en chandelle plein est. On passe Berlin, Prague, Varsovie... La même chose partout. Mais ici on trouve encore certains pans de constructions, noircis, calcinés. Comme si une flamme planétaire avait recouvert la Terre de feu.
Comment des hommes ont-ils pu survivre dans cet enfer ?
Giuse semble encore plus choqué que moi. Lui se souvient... Il a vu l’affolement, la panique, le désespoir.
Il se penche à droite et se verse un verre de William Lawson’s.
Quelque chose me titille depuis quelques secondes. Je cherche confusément... et ça sort.
— Giuse !... Les survivants ont dû être protégés à la fois du raz de marée et du feu, d’accord ?
— Oui, ils devaient être sous terre, je suppose.
— Donc la base aussi, était enterrée, puisqu’elle a résisté...
Il se frappe la cuisse.
— Bon Dieu ! on aurait dû penser à ça plus tôt... Seulement où y avait-il des bases souterraines, tu le sais, toi ?
— Non... On pourrait aussi essayer de saturer par radio. Ils finiront bien par nous entendre.
— À mon avis, il vaudrait mieux chercher la base qu’essayer de la contacter. Ils connaissent sûrement déjà notre présence.
— L’un n’empêche pas l’autre. JI, passe le message suivant sur toutes les bandes métriques et millimétriques : « Survivants de la Terre, nous voulons entrer en contact avec vous, répondez. » En anglais et français. En permanence.
Je descends vers le sud-est. C’est le silence à bord. Il fait grand jour quand on passe le Pakistan. C’est même le milieu de la journée, maintenant.
Et puis la voix de JI nous parvient :
— Cal... Les microsatellites révèlent un détail curieux. Est-ce que des cercles d’une centaine de mètres de diamètre t’indiquent quelque chose ?
— Plusieurs cercles ?
— Douze.
Qu’est-ce que ça peut bien être ? Je ne sais absolument pas à quoi peut ressembler une base...
— Ça se trouve où ?
— Dans le continent que tu appelles Australie, 250 kilomètres au nord-nord-ouest du lac Mackay, près du Grand Désert de Sable.
Ça fait « tilt » dans mon crâne. Le patrouilleur a disparu dans l’océan Indien, les fusées partaient vers La côte ouest des Etats-Unis... Et maintenant ces traces...
Je vois que Giuse est alerté, lui aussi. Il me regarde. Je hausse les épaules.
— On peut toujours aller voir. Salvo, tu nous suis. Badix, tu poursuis vers l’est avec les dix, en cherchant au sol tout ce qui peut te paraître anormal. JI, fais rentrer les microsatellites, maintenant.
Il accuse réception et je balance à droite pour descendre franc sud, vers l’Australie.
Quelques minutes à pleine puissance et la voilà. Je ralentis sévèrement pour venir en stationnaire au-dessus de la région repérée.
— Ouais, là, regarde, dit Giuse le bras tendu vers l’écran.
Toute une série de cercles, qui se détachent curieusement sur le jaune ocre du désert.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Boost depuis l’arrière. Des puits de lancement ?
Peut-être. J’avoue que je suis perplexe. Aucune trace de vie, aucune construction, pas même des ruines, rien. Le désert, c’est tout.
— Sondages, je lance à Giuse qui s’occupe de l’électronique.
— Pas de radio-activité, répond-il. C’est vraiment le désert, ce coin... Tout de même ces cercles !
— Bon, je me décide, on va aller voir de près. Salvo, on se pose, reste en surveillance.
Je visualise un point au centre de la zone des cercles et le module plonge dans une approche automatique, sous 15°.
On est au sol. Rien ne bouge. Je me tourne vers l’arrière.
— Il doit faire salement chaud par ici. Siz, trouve-nous de quoi faire des chapeaux.
Il fouraille dans un coffre mural et nous balance des récipients ! On se colle ça sur la tête. Vraiment une drôle d’allure. Et je me marre franchement en voyant la tête de Boost !
— Toi aussi, tu sais, fait-il !
Je me doute bien que je dois être ridicule, mais sa façon de me le dire m’amuse. Si les générations futures de Terriens pouvaient lui ressembler...
Siz ouvre la porte et c’est la fournaise. J’ouvre la bouche, comme privé d’air. Eh bien, des recherches là-dedans ne vont pas être marrantes.
On descend et je marche vers le premier cercle.
Ça pourrait bien être en effet un site de lancement. Sur deux à trois mètres de large, le sable est plus foncé, comme vitrifié par une chaleur intense. Ça pourrait très bien être les lèvres d’un puits de lancement, brûlées par la chaleur de tuyères.
Boost et Giuse explorent de l’autre côté, mais Siz vient vers moi.
— Lou voudrait venir près de toi, dit-il.
Brave Lou. Il n’aime pas me sentir seul, au sol. Au demeurant, il a raison.
— D’accord, dis à Salvo de le déposer, je fais en levant la tête vers l’autre module, en stationnaire à deux cents mètres d’altitude.
Il ne perd pas de temps, le père Salvo, son module tombe comme une pierre, ralentissant au ras du sol ! Et Lou saute à terre, venant de mon côté avec un grand sourire.
Giuse arpente le terrain à trois cents mètres, suivi de Siz, tandis que Boost se balade seul à gauche.
— Lou, je crie, dis à Salvo de laisser Belem à terre pour Boost.
J’ai été sur le point de désigner Ripou, mais il était le garde du corps de Casseline, autrefois, et je me suis juré un peu bêtement qu’il ne protégerait jamais personne d’autre. Elle est encore étrangement présente à ma mémoire...
Son évocation me flanque un terrible coup de cafard. Dieu que je l’aimais ma merveilleuse Cassy[3]...
*
Des heures qu’on cherche, en vain. Aucun indice de vie et pourtant je ne peux pas me résoudre à partir. Sans s’être concertés on s’installe pour la nuit.
Lou et les autres sortent le matériel pour le campement, avec notamment les vivres, surgelés évidemment, que l’on trouve dans tous nos modules. Un truc à nous pour éviter au possible de bouffer ces vacheries de pilules nutritives.
Je me rends compte que je suis de mauvais poil, ce soir. Ces recherches me tapent sur les nerfs.
— Mais enfin ces bon Dieu de survivants ils sont bien quelque part !
Boost me jette un coup d’œil surpris, mais ne répond pas. Lou me tend un gobelet de Vodka Eristow que j’avale d’un trait. Ça me brûle atrocement l’estomac mais j’en éprouve une satisfaction rageuse.
Je dois être odieux...
Il fait froid maintenant et les robots allument un feu de sable ! Ils en font un tas, un vrai petit château, et le foudroient au laser. Sous la chaleur fantastique, le sable brûle, fond, et dégage une bonne chaleur.
Impossible de dormir. Je me lève doucement pour ne pas réveiller les autres et commence à marcher au hasard. La nuit est claire, apaisante.
Lorsque le jour se lève je n’ai pas dormi une minute. On mange rapidement et je décide de diviser nos forces pour explorer. Badix nous a rejoints pendant la nuit, sans avoir rien repéré ailleurs.
Je prends notre module avec Lou, Giuse ira avec Siz dans l’amphib et Boost dans le second module avec Belem. On va sillonner assez loin tout autour, pendant que Salvo dirigera ici des travaux de forage, le long des cercles.
Il faut en finir, avoir une certitude.
Je pilote le module à quelques mètres du sol, épousant la forme des petites dunes de ce coin, les yeux rivés à l’écran. Lou ne dit rien, respectant mon silence.
Cher vieux Lou ! J’ai une soudaine bouffée de tendresse pour lui. Il y a si longtemps qu’on se côtoie. Il est aussi chouette que le Vahussi qui portait son nom, autrefois. Il a son tact, sa gentillesse... et c’est un robot ! Un androïde.
Non, pas pour moi. Pour moi Lou est vivant, il est mon ami. Comme Giuse.
Je dois dire de sacrés conneries, ce matin ! Mes yeux dérivent de son côté et je rencontre son visage détendu, au moment où il me fait un coup d’œil ! Ah ça. comment peut-il avoir devi...
J’ai vaguement enregistré l’embrasement de l’écran.
Tout chavire...
Un vrombissement strident et le tableau de commande s’ouvre sur une brèche dans la coque du module qui se met à vibrer !
Encore un choc. Une clarté brutale dans le poste.
Bon sang ! que se passe-t-il ?
L’impression de me dédoubler. Un Cal subit tout sans réagir, l’autre observe d’un œil curieux mais passif. Celui-là voit la lampe verte du système d’alerte... Pourtant j’avais bien branché les défenses automatiques, au pupitre. Elle devrait être rouge !
Mes yeux dérivent vers la commande, à gauche... Elle n’existe plus ! Il y a tout une partie du pupitre qui a disparu. Mais enfin comment...
Le module tangue terriblement et je vois, sans comprendre, ma main qui tente de contrer nos mouvements désordonnés. Je suis incapable de donner des ordres à ma main. Elle agit d’instinct.
Mais il n’y a aucun résultat. Un autre moi-même me dit que le module est sans contrôle, que je pourrais aussi bien lâcher la boule de pilotage.
Et encore plus de lumière... Elle vient de trous dans la coque... il s’en ouvre de nouveaux à chaque secondes.
Je suis ballotté d’un côté à l’autre, retenu par ma sangle de sécurité qui s’est mise en place automatiquement.
Quelque chose de lourd me frappe, sur la droite... C’est le corps de Lou...
Penché en avant il est secoué par les mouvements du module... comme un mannequin désarticulé. Bon Dieu, Lou !
Lou est...
Ça me sort de l’hébétude qui m’avait envahi. Le module a accéléré, sans que je sache pourquoi mais ça ne l’empêche pas d’être pris sous les feux de je ne sais quoi. Et il encaisse à chaque instant !
Une partie entière du toit du poste s’envole et un courant d’air sauvage souffle tout ce qui n’est pas fixé.
Mes mains montent au dossier de mon fauteuil pour chercher le casque de secours... Rien, lui aussi s’est envolé. Et je suis pratiquement aveuglé par la violence du courant d’air.
Par une déchirure de la coque, presque sous mes pieds j’aperçois, en protégeant mes yeux des mains en cornet, le sol, cent mètres plus bas...
Bon Dieu on est en virage ! Et les coups continuent de nous toucher bien sûr. Un vrai tir au pigeon.
On va s’écraser... Et Lou, il est sûrement touché sinon il aurait réagi...
Un choc au côté... brutal... suivi aussitôt d’une brûlure atroce. Je m’entends hurler...
Un choc me précipite en avant... La sangle me rentre dans les chairs, appuyant contre ma blessure ; je perds conscience...
... Dieu qu’il fait chaud... et que je suis mal installé. Mais qu’est-ce... quelque chose me rentre dans les côtes. Je lève la main... bon sang ce que ça me coûte, comme je suis fatigué...
Le module ! Tout me revient d’un coup. Je regarde autour de moi. Le poste de pilotage est complètement ravagé. Le plancher a disparu et le sable apparaît, un mètre sous mes pieds.
Sortir de là... Et puis non... d’abord envoyer un message... que les autres puissent me retrouver. Mais les restes du pupitre de télécommunication sont à deux bons mètres de là. Il faut pourtant y aller.
J’essaie de me lever et une lame brûlante s’enfonce dans mes côtes... ma blessure !
Quand les ondes de douleur diminuent, je baisse les yeux et dégrafe à gestes lents la boucle de la sangle. Mon fauteuil bascule et je tombe dans le sable...
J’ai la jambe droite humide... mes doigts ramènent du sang de la cuisse. Le soleil éclaire assez bien l’intérieur du module et, prudemment, je regarde ma jambe. Toute la combinaison est rouge de sang.
Je suis en train de me vider ! Mais qu’est-ce que c’est que cette blessure ? Je serre les dents en relevant le haut de la combinaison, déchirée sur le côté...
J’ai une énorme entaille au flanc... Je suis paniqué en voyant la longueur... La blessure est nette, comme faite au rasoir... J’ai de la peine à garder les idées claires, maintenant. Je suis en train de m’affaiblir... j’ai sommeil.
Le régé... Il doit bien y en avoir quelque part... C’est ma seule chance. En prendre avant de tomber dans les pommes. C’est un accélérateur... Il multiplie le processus de recomposition du sang... ça me donnera un coup de fouet.
Je me traîne... Chaque centimètre m’arrache des gémissements mais... que j’ai sommeil... M’arrêter, j’en ai marre... Tout plaquer.
Le coffre là... mes yeux se brouillent... cylindre... le tourne vers ma poitrine découverte... bouton, que c’est dur... je n’y arriverai jamais, hhhooooooo...
Ça fait mal, bon Dieu !
Un ronronnement... D’où vient ce bruit ? Ah oui ma blessure, j’ai dû tomber dans les pommes. Mais apparemment j’ai eu le temps de m’envoyer le régé sous pression, parce que ça va mieux.
Tiens, ma blessure ne saigne plus. Depuis combien de temps je suis ici ? Sûrement pas très longtemps, les rayons de soleil n’ont pas l’air d’avoir bougé, dans le poste.
Le ronronnement encore, qu’est-ce que c’est ?... Lou ! C’est lui, j’en suis sûr. Il n’est peut-être pas mo... enfin « hors service ». Ce bruit c’est son système d’autoréparation.
Seulement s’il est gravement endommagé, il va user son énergie sur des réparations importantes. Il faut disjoncter l’ensemble ou orienter ses réparations.
J’essaie de me relever... Ça y est. Eh ben, je n’aurais pas cru que j’y arriverais. Le régé m’a fait du bien. À pas lents j’approche de Lou. La boucle de sa sangle, d’abord. Voilà. Son corps reste en place.
J’essaie de le pousser sur le côté pour dégager ses reins où sont les trappes d’accès à ses banques et aux mises en marche diverses. Il est foutrement lourd. Et il fait une chaleur à crever...
Je m’arc-boute et il glisse enfin. Les trappes dorsales, maintenant. Il faut dégager sa combinaison, mais elle est déchirée. Enfin la fausse côte saillante qui commande l’ouverture...
La trappe s’ouvre. Je voudrais bien y voir davantage ! Le ronronnement s’élève encore, mais me paraît plus faible. Dans ces conditions, il use son énergie 230000 fois plus vite qu’en état normal. C’est son sang à lui qui fout le camp !
Je n’y arrive pas, je ne vois rien. Impossible de trouver le bouton de disjonction. Je ne vais pas le laisser crever là, non !
— Lou, mon vieux, si tu m’entends, disjoncte-toi vite.
Je le secoue désespérément. À force de se libérer dans le vide, son énergie va le griller intérieurement ! Je le secoue tellement qu’il glisse et s’effondre sur le sable, face contre le sol.
Les trappes sont complètement dégagées... Vite... maintenant j’y vois assez. Je me laisse tomber contre ses jambes. Ah ! voilà la cavité des banques. Elles n’ont pas l’air d’avoir souffert.
Je tâtonne pour trouver la cavité des sélections. Vite je bascule le bouton qui le passe en « manuel ». Le ronronnement stoppe et je peux couper l’auto-contrôle. Je sélectionne l’ordinateur seul et le penche vers le micro, sous la trappe.
— Lou, si tu m’entends, essaie de bouger quelque chose !
Je me redresse pour l’observer... Rien.
— Lou... fais un effort, quoi, j’essaie de te sauver... Attends, je tourne ta tête... Voilà, maintenant répond en bougeant une paupière, allez... essaie...
La paupière gauche frémit ! Bon Dieu, j’en pleurerais de soulagement. Bêtement, je l’entoure de mes bras. Que je suis c...
— Je vais te tirer de là, Lou, ne t’en fais pas. Réponds-moi : un battement pour oui, deux pour non. Es-tu gravement touché ?
Sa paupière vibre une fois : oui.
— Ton système moteur ?
Pas de réponse.
— Bon, ma question était trop générale, je suppose, alors on recommence. Système moteur supérieur ?
Deux battements : non.
— Inférieur ?
Un battement : Oui. Il ne peut pas marcher.
— Coordination ?
Un battement : oui. Je réfléchis rapidement. Il faut d’abord lui donner la possibilité de se déplacer. J’enlève la banque d’ordres d’urgence, la branche sur le micro et je dis :
— Réparations dans cet ordre : coordination des mouvements des membres inférieurs, puis réparation de la motricité inférieure.
Et je réenclenche l’auto-système. Un léger bourdonnement se fait entendre. Ça marche, il est en train de se réparer lui-même. Mais un bricolage de fortune, je ne me fais pas d’illusions. Il deviendra peut-être capable de marcher, si le système d’équilibre est encore en état. En tout cas il ne peut certainement plus émettre. JI n’est pas au courant de ce qui nous est arrivé...
Bon sang ! JI, non... Mais ceux qui nous ont descendus, si ! Je les avais oubliés, ceux-là. Ils ne vont certainement pas tarder. Les survivants que je cherchais, bien sûr !
Il faut partir, et rapidement... Je me relève et la douleur me vrille le flanc, m’obligeant à me plier en deux. Il faut que je me soigne mieux. Le coffre médical...
L’injecteur sous pression est encore chargé je vais pouvoir me balancer un peu de chimie dans le corps.
Je commence par un anti-infectieux général. Nécessaire. Un coagulant léger pour éviter de saigner encore trop, un cocktail de vitamines aussi... C’est tout ce que je peux faire sauf une seconde dose de régé. Dangereux, c’est la dernière admissible par le corps.
Tant pis, j’ai encore saigné, il faut compenser ça. Un tampon, maintenant et une large bande autocollante qui isolera la plaie.
Lou n’a toujours pas bougé. J’essaie de le bouger, mais je suis bien trop faible. Impossible de le porter. D’autant qu’il fait 110 kilos...
Je réfléchis à toute allure. Si les autres le découvrent, ils verront vite qu’il s’agit d’un robot. Et ils ne trouveront rien de mieux que de le mettre en pièces détachées...
Il faut le cacher ! Le sable, c’est la seule solution.
Avec un débris de plasto-métal, je commence à creuser, aussi vite que je le peux. Je rejette le sable sur le côté.
Au bout d’un moment, le trou me paraît assez profond pour le dissimuler complètement. Je fais rouler la grande carcasse de Lou au fond et je commence à le recouvrir.
Quand il aura retrouvé sa motricité, il se dégagera lui-même.
Je suis épuisé. Devant mes yeux des petits points noirs se baladent, m’indiquant que je suis presque au bout du rouleau. Pourtant il faut partir d’ici. Je cherche, autour, ce qui pourrait m’être utile. Un morceau de combinaison comme turban et la gourde d’eau, en permanence dans le coffre. Une arme : un désintégrant, c’est tout. D’ailleurs je ne supporterais rien d’autre.
En dégageant tant bien que mal un trou dans la carcasse du module, je réussis à sortir. Dieu, ce soleil ! On est en plein désert, et il n’est guère plus de 10 heures du matin. Pas un souffle d’air. C’est insupportable...
Il y a une dune, ou un repli de terrain, je vois mal avec cette lumière qui m’oblige à diaphragmer presque complètement les yeux. Et je n’ai rien pour m’en protéger.
Je commence à marcher. Il faut me cacher pour attendre les secours.
À peine au bout de cent mètres je titube déjà... Il faut mobiliser sa volonté pour ne pas boire, je vais m’écrouler !
Je serre les dents... Ma blessure s’est remise à saigner et imbibe le pansement avant de couler le long de la cuisse.
Si Giuse ne me retrouve pas rapidement, je suis foutu... L’esprit étrangement clair et lucide, maintenant. Je vois mon corps pourrissant dans le sable...
Je secoue la tête ; je commence à délirer. Je bouge un peu fort le bras droit et la douleur me fait crier, mais je retrouve mon bon sens.
Qu’est-ce que j’ai sur le visage ? j’y porte une main hésitante... Des larmes. Je suis en train de pleurer de douleur ! Il faut que je m’en empêche... j’ai besoin de toute l’eau de mon corps.
Mes jambes ne tiennent plus... je m’écroule !
Il faut se relever, il faut...
Qu’est-ce...
Un bruit... Le sifflement d’une turbine. Je relève la tête hors du trou où je me suis effondré.
Un nuage de sable, là-bas... on dirait... oui un engin à effet de sol, qui se dirige droit vers l’épave du module ! Il se déplace drôlement vite. Le pilote connaît bien la région. Grand, l’engin...
Il stoppe près de la carcasse, maintenant. Deux silhouettes en descendent pendant qu’un tube, sur la partie supérieure, pivote vers le module.
Les deux silhouettes avancent prudemment et pénètrent par une faille.
Elles ressortent presque tout de suite et l’une d’elles se penche sur le sol... Ça y est il a retrouvé ma trace et regarde dans ma direction...
Je cherche le désintégrant à ma ceinture et tout vacille. Bon sang je ne suis pas en mesure de me battre ! Si je tire ils vont me mettre en pièces.
Il me reste juste assez de force pour enfouir l’arme dans le sable, sous moi, et je m’écroule...